Agression de Salman Rushdie : „Les Occidentaux sous-estiment la menace de la République islamique d’Iran” — Genève Vision, un nouveau point de vue

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L’assaillant présumé de Salman Rushdie est Hadi Matar, un jeune américain, visiblement d’origine libanaise et grand admirateur de Khomeiny. Que sait-on de ses motivations?

Mahnaz Shirali : Selon les commentaires de journalistes iraniens vivant aux Etats-Unis et qui ont épluché les réseaux sociaux de Hadi Matar il vouait en effet une grande admiration à Khomeiny. Il semblerait qu’il vienne du sud du Liban et qu’il soit proche du Hezbollah libanais [parti politique islamiste chiite libanais, considéré comme terroriste par de nombreux pays. Il est soutenu et financé par l’Iran, ndlr]. Il est a priori sous l’influence de la pensée des Ayatollahs iraniens, Khomeiny en tête.

Le jeune homme a moins de 25 ans, est né aux Etats-Unis. La fatwa émise par l’Ayatollah Khomeiny concernant Salman Rushdie date de 1989. Hadi Matar n’était pas encore né. De quoi son engagement est-il le symbole?

Mahnaz Shirali : C’est quelque chose que l’on a pu remarquer aussi chez de jeunes français qui se sont rattachés à la pensée de DAESH, qui sont allés en Syrie. C’est le même phénomène. Ce sont des enfants de migrants, mais qui ont développé une double relation avec le pays d’accueil de leurs parents : l’amour et la haine. Le pays est attractif mais ils n’ont pas été intégrés comme il fallait. On peut retrouver la même dynamique dans les banlieues françaises, chez certains descendants d’immigrés maghrébins. Le pays d’accueil exprime un genre de mépris envers eux. C’est le cas de Hadi Matar.

Le FBI n’a pas encore donné beaucoup d’informations. Certains journalistes ont découvert que ses parents étaient du Sud du Liban et a priori leur fils a une vision très fantasmagorique de leur pays d’origine. C’est quelque chose de fréquent également chez beaucoup d’Iraniens vivant aux Etats-Unis. Certains ne parlent même pas le persan et idéalisent ce qui se passe en Iran, sans oser critiquer quoi que ce soit venant du pays. Ils sont une cible parfaite pour la propagande islamiste. C’est certainement le cas de ce jeune homme.

Voir aussi l’analyse de Thierry Coville, chercheur à l’IRIS, au 19h30 de la RTS

Cette fatwa appelant à tuer Salman Rushdie avait été émise en 1989 par l’Ayatollah Khomeiny. En 1998, le le président plutôt réformateur Mohammad Khatami a appelé à ne pas l’appliquer. Puis en 2005, le successeur de Khomeiny, l’Ayatollah Khamenei la relance. Le romancier était-il encore un sujet d’actualité en Iran avant cette attaque?

Mahnaz Shirali : Les Occidentaux sous-estiment la menace de la République islamique d’Iran. C’est pourquoi on a peut-être pu penser que Salman Rushdie n’était plus en danger. Cela fait 43 ans que ce régime est en place, on n’a jamais voulu prendre au sérieux ses menaces. Bien qu’étant chercheuse, comme je suis Iranienne, quand je le dis, je passe pour une simple opposante politique. Or, les preuves nous montrent que c’est un Etat qui a une forte capacité de nuisance aussi bien à l’intérieur de ses frontières qu’à l’extérieur, et ce, même sur le sol américain, comme on le voit ici.

Récemment, il y a une succession de faits remarquables. Juste avant Salman Rushdie, on apprenait que Téhéran avait visé John Bolton [ancien conseiller à la Sécurité nationale de Donald Trump, ndlr] en planifiant son assassinat, et avant cela c’est l’opposante iranienne vivant aux Etats-Unis, Masih Alinejad, qui était ciblée ​[un homme armé d’une kalachnikov a été arrêté à New York devant son domicile, ndlr]. En ce moment l’Iran est en pleines négociations concernant l’accord sur le nucléaire. La République islamique d’Iran n’a pas la possibilité d’imposer ses conditions aux puissances étrangères, donc elle fait appel à sa capacité de nuisance.

C’est ce contexte politique qui aurait poussé Hadi Matar à agir maintenant? 

Mahnaz Shirali : Ce n’est évidemment pas un acte isolé. Il faut vraiment ne pas connaître la situation de ce pays pour le croire. Le régime n’arrive pas à avancer dans les négociations diplomatiques, donc il fait appel à d’autres forces. Je le considère comme un mercenaire avéré de la République islamique d’Iran.

Salman Rushdie et ses écrits sont-ils encore un sujet d’actualité dans la société iranienne aujourd’hui?

Mahnaz Shirali : Pas du tout. Cela dit, après l’attentat la presse iranienne a félicité l’agresseur. Cela représente selon moi, la position de l’Etat iranien, même s’il n’y a pas eu de déclarations officielles du gouvernement. Mais l’opinion publique est catastrophée. Sur des réseaux comme Club House, hier soir, des milliers d’Iraniens étaient horrifiés et voulaient à tout prix se démarquer.

Les Iraniens s’expriment beaucoup sur les réseaux sociaux, c’est la seule voix qu’ils peuvent utiliser pour communiquer, notamment avec le monde occidental. C’était d’ailleurs le sujet de mon ouvrage « Fenêtre sur l’Iran » (aux éditions les Pérégrines). Les internautes iraniens parlaient de répression à l’intérieur du pays et de nuisance à l’extérieur. Pour moi, le message envoyé par cet attentat, c’est un Etat qui terrorise son peuple et les autres pays.

Selon vous, quels seraient les effets attendus par le régime de cette tentative d’assassinat sur les négociations concernant le nucléaire iranien? 

Mahnaz Shirali : Ce que la République islamique d’Iran souhaite, c’est que les puissances occidentales acceptent les conditions iraniennes dans cet accord et surtout qu’elles lèvent les sanctions.

Quel impact cette attaque contre Salman Rushdie peut-elle avoir dans la société iranienne? 

Mahnaz Shirali : Cet attentat était destiné à transmettre un message aux puissances étrangères, à usage extérieur. La seule chose souhaitable qui pourrait arriver en Iran aujourd’hui serait que la société civile montre qu’elle est en désaccord avec ses dirigeants.

Propose recueillis par Nadia Bouchenni, pour TV5MONDE