Acquise à la cause russe, la Transnistrie ne veut pas la guerre pour autant — Genève Vision, un nouveau point de vue

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La Transnistrie a son parlement, son président, sa monnaie, son drapeau. Le temps semble s’y être arrêté. La plupart de ses habitants regrettent l’époque où Moscou régnait sur l’Europe de l’Est. Abreuvés par la propagande russe, ils n’ont jamais accepté la fin de la grande Union soviétique. Ici, en sous-main, c’est la Russie qui dirige. Aux yeux des Moldaves, cette région est perçue comme une zone de non-droit. Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, très peu de journalistes y sont entrés.

30’000 renforts potentiels pour Vladimir Poutine

Vladimir Poutine pourrait faire de la Transnistrie une nouvelle Crimée. De là, il pourrait attaquer l’Ukraine sur son flanc ouest. Quelque 1500 soldats russes sont officiellement stationnés en Transnistrie, officiellement comme force de maintien de la paix. Dans les faits, ils sont davantage: en additionnant l’armée régulière de Transnistrie et les réservistes, on arrive à quelque 30’000 hommes qui pourraient se mettre à disposition du président russe. Du côté de la population, on voit cette armée russe comme salvatrice, comme une protection pour ne pas se faire absorber par la Moldavie pro-européenne.

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De peur que l’armée russe basée sur ce territoire ne les attaque depuis là, les Ukrainiens ont fait exploser le pont qui relie la Transnistrie à l’Ukraine, a expliqué un chauffeur moldave à une journaliste de la RTS, peu avant de passer la frontière Moldavie-Transnistrie, qu’il évite généralement. A l’inverse, Lena, l’accompagnatrice de la journaliste, dit être heureuse de retrouver sa terre natale. Pour elle, l’armée russe est synonyme de protection et non d’agression.

Une guerre jugée « légitime »

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La statue Suvorov à Tiraspol. [Maurine Mercier – RTS]

« Je suis Russe, de culture, de mentalité », confie Tacha, une assistante sociale de 25 ans rencontrée dans la « capitale » Tiraspol, devant le Parlement, où trône une immense statue de Lénine. Pour elle, la guerre de Vladimir Poutine est légitime. Elle en est persuadée, il n’attaque pas, mais défend les Russes maltraités dans l’Union soviétique démantelée.

« En Ukraine, dans le Donbass, les fascistes bombardent les civils russes. La Russie s’est montrée patiente très longtemps (…) Nous sommes tous inquiets pour l’Ukraine maintenant, bien sûr, c’est effrayant de voir ce qu’il se passe. Mais est-ce qu’il avait une autre solution? Non. »

Sa crainte: qu’on force la Transnistrie à intégrer la Moldavie. « S’ils nous annexent et nous forcent à adhérer avec eux à l’Union européenne, bien sûr nous serons contre. Et nous devrons probablement nous battre. Nous serons obligés de nous défendre, de prendre les armes et de défendre notre territoire et notre culture. »

Même son de cloche auprès d’un peintre de 51 ans, qui assure être pacifiste. Pour lui aussi, Vladimir Poutine a été contraint à la guerre en Ukraine. « L’OTAN avait promis qu’elle ne s’étendrait pas à l’Est. Elle n’a pas tenu parole. Elle a triché. On ne peut pas faire la paix en se trompant ainsi les uns les autres », estime-t-il, reprenant la rhétorique des autorités russes sur la question.

Réfugiés ukrainiens accueillis

Certains habitants n’hésitent cependant pas à accueillir des réfugiés ukrainiens au sein de leur famille. « Ces gens incroyables nous ont aidés alors que nous n’avions nulle part où aller. Ces gens qui ne nous connaissaient même pas nous ont ouvert la porte! Ils nous ont fait des lits, nous ont fait à manger, et ils nous ont dit qu’on pouvait rester autant que nécessaire », raconte une mère de famille partie d’Odessa avec son enfant.

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Un trolleybus à Tiraspol. [Maurine Mercier – RTS]

Alors que sa voix se brise, son hôte tente de plaisanter pour la réconforter. Si, d’un point de vue politique, ils ne sont d’accord sur rien, Russes et Ukrainiens sont ici main dans la main. « Je ne suis pas à l’aise ici, mais c’est vrai que s’il m’arrive quelque chose en Transnistrie, les Transnistriens m’aideront. Et s’il arrive quelque chose à un Transnistrien en Moldavie, je l’aiderai moi aussi », se livre le chauffeur moldave sur le chemin du retour.

Le long travail de sape de la propagande

Comme beaucoup d’habitants de part et d’autre de la frontière, Lena dit ne pas vouloir la guerre. L’Ukraine voisine, pourtant, n’y a pas échappé. La faute, pense-t-elle, au fascisme et au nationalisme qui y seraient davantage présents qu’ici, en Transnistrie. C’est tout le paradoxe rencontré dans la région: personne ne veut la guerre, tout le monde semble conscient qu’il y a de la propagande et de la manipulation, mais ils s’en laissent imprégner. Dès qu’il s’agit de débattre de qui a raison ou tort, chacun retombe sur les éléments de langage de cette propagande – le résultat d’un long travail de sape.

Et les actes politiques récents n’arrangent rien. La présidente moldave a déposé une demande officielle pour que la Moldavie adhère à l’Union européenne. Les autorités transnistriennes ont répliqué par une demande d’indépendance. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, la Moldavie pacifique pourrait donc se transformer en poudrière.

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Un trolleybus à Tiraspol. [Maurine Mercier – RTS]

Reportage sur place: Maurine Mercier
Adaptation web: Vincent Cherpillod