„A l'intérieur de nous, il y a beaucoup de blessures”, témoigne l'opposant cubain Yunior Garcia — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Le 11 juillet dernier, l’opposition cubaine est descendue dans les rues. Ce mouvement de protestation inédit a depuis pris de l’ampleur, tout comme la répression. Yunior Garcia, un artiste cubain, est le visage de cette nouvelle dissidence, plus jeune et plus connectée.

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Il est l’un des artisans de Archipiélago, un espace de débats civiques qui est né sur Facebook. Il avait appelé la population cubaine à manifester le 15 novembre. La manifestation n’a pas été autorisée et, face aux pressions du gouvernement, Yunior Garcia a choisi de s’exiler à Madrid.

Deux méthodes de dissuasion

Dans l’émission Forum, il raconte que la persécution subie par les dissidents avait commencé bien avant son exil: « Nous avons commencé à être persécutés, ils ont coupé l’internet des principaux organisateurs, ont commencé aussi à menacer nos familles. Ils ont parlé avec tous mes amis, même avec ma belle-mère. La sécurité de l’Etat est allée la voir sur son lieu de travail quatre fois pour lui poser des questions sur moi. Tous les leaders de Archipiélago ont été traités ainsi. »

L’opposant explique que le régime cubain utilise deux méthodes pour dissuader toute contestation: « Le premier instrument, c’est la terreur, pour que la population panique. Ils ont eu 60 ans pour perfectionner leurs méthodes et les rendre très subtiles, à tel point qu’elles sont imperceptibles pour une personne qui ne vit pas à Cuba.

Le régime fait en sorte que chaque Cubain se méfie de son voisin, de son conjoint, que les enfants n’aient pas confiance en leurs parents

« C’est comme la torture de l’eau: une goutte d’eau sur la tête ne signifie rien, mais lorsque ce sont des gouttes d’eau répétées au même endroit, on ressent le poids d’une pierre. C’est ce que fait le système, une torture psychologique », narre encore Yunior Garcia.

Et l’activiste d’ajouter: « L’autre mécanisme utilisé, c’est la méfiance. Faire en sorte que chaque Cubain se méfie de son voisin, de son conjoint, que les enfants n’aient pas confiance en leurs parents. Bref, que personne n’ait confiance et éviter ainsi que nous nous organisions. »

La vision des touristes et la réalité

Yunior Garcia dit encourir une peine de plus de vingt ans de prison s’il retourne à Cuba. Malgré la situation, il reste persuadé qu’un autre avenir est possible pour l’île. Mais selon lui, cela exigera de déconstruire la vision romantique de Cuba que peut avoir la population occidentale.

« Ma plus grande responsabilité maintenant est de dénoncer ce qui se passe à Cuba. Je sais qu’en Europe et en Amérique latine, il existe une vision probablement romantique de mon pays. Pour nous c’est différent. Si tu vas à Cuba en tant que touriste, tu bois un mojito, tu fais des photos à côté d’immeubles à moitié détruits, tu vois le sourire des Cubains, tu ne peux pas te mettre dans la peau d’un Cubain. »

De l’extérieur, nous voyons une mascarade, mais Cuba n’est pas non plus ce que racontent les ennemis jurés du régime

« Le sens de l’humour nous sauve. Rire, danser ou se montrer joyeux est un mécanisme de défense. Mais à l’intérieur de nous, il y a beaucoup de blessures, de plaies et de silences que nous nous imposons nous-mêmes. »

Yunior Garcia appelle à voir Cuba pour ce que le pays est vraiment, sans l’idéaliser ni le diaboliser. « De l’extérieur, nous voyons une mascarade, mais Cuba n’est pas non plus ce que racontent les ennemis jurés du régime. Nous faisons souvent face à deux caricatures, et Cuba n’est ni l’une ni l’autre. Ce n’est ni le paradis ni l’enfer absolu. »

Propos recueillis par Valérie Demon

Version web: Antoine Schaub