9 mai: c'est arrivé demain — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Le parallèle poutinien est trompeur. Le défilé victorieux de la Place Rouge n’en est pas un. Le Victory Day n’est pas la victoire du jour.

La Grande Guerre patriotique que la Russie commémore le 9 mai n’a rien à voir avec l’invasion d’un pays indépendant qu’elle a déclenchée il y a deux mois et demi. Nostalgie délétère. L’Histoire est une arme.

Moscou n’a pas le monopole de la marche martiale. La balade militaire du 14 juillet aux Champs-Élysées à Paris fait toujours dans le grandiose. Elle impressionna beaucoup naguère Donald Trump qui aurait rêvé d’un déploiement pareillement magnifique à Washington. Tout dirigeant s’enorgueillit volontiers de la manifestation de puissance, et le peuple aussi. Mais le défilé dans une démocratie ne signifie pas de la même manière que le défilé dans une dictature. Ici, se rassurer, là-bas faire peur. Pour Moscou, il s’agit bien d’effrayer une fois de plus l’Occident en faisant parader les armes les plus récentes, les plus sophistiquées.

« Le mal est de retour en Europe », dit Volodymyr Zelensky, dans une formule cinglante et prophétique. Le président ukrainien a toujours situé la guerre dans une perspective plus large où son peuple se bat non seulement pour l’intégrité de son territoire et son indépendance, mais aussi pour les valeurs de l’Europe, et sa sécurité. Il réitère la mise en garde : « Ce n’est pas une guerre entre deux armées, c’est une guerre entre deux visions du monde ». Il vaut la peine de le garder en mémoire alors que les effets de la guerre vont aussi nous affecter de plus en plus.

Au défilé ronflant de Moscou, achalandé comme il se doit, Zelensky a répondu par un travelling sobre et modeste, confident, sur une avenue étrangement déserte. Contraste saisissant quand on rapproche les deux mises en scène. Au cliquetis des chenilles et au claquant des drapeaux répond une parole délicate, en clair-obscur. Le président ukrainien rejoue la partition héroïque du faible, mais brave, affrontant le fort en gueule. Parades asymétriques comme on le dit aujourd’hui de la guerre.

La parade du 9 mai n’a pas apporté la surprise escomptée. Mais elle nous apporte néanmoins une certitude : le conflit va durer. On s’y installe, on se fait une raison. La France et l’Allemagne ne le voient pas d’un bon œil d’ailleurs, soucieux de reprendre le cours normal des choses. Emmanuel Macron et Olaf Scholz multiplient les déclarations en faveur d’un cessez-le-feu, et d’une paix négociée. Ils n’apprécient pas que les États-Unis disent vouloir affaiblir durablement la Russie. Ils pensent à l’après. Mais, curieusement, ils n’envisagent pas non plus d’intégrer l’Ukraine dans l’Union. Un après flou, peu rassurant pour les Ukrainiens, mais ils en sont conscients.

Le fait que Poutine n’ait pas déclaré le 9 mai la mobilisation générale, ni lancé une nouvelle offensive d’envergure, montre qu’il mise sur le long terme, qu’il parie sur l’enlisement. Peut-être à défaut. La guerre d’usure après l’échec de la guerre éclair.

André Crettenand

La Lettre internationale du samedi 14 mai: La parade – Quiz Europe – Kiev la débrouille – Elon Musk, la métamorphose du coucou – Bideau amoureux – ambassadeur à vélo