La visite du jeune dieu — Genève Vision, un nouveau point de vue

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C’est qu’il a des choses à se faire pardonner le président français : sa fascination première pour Poutine, ses déclarations ambiguës, des atermoiements. Bonne pâte, Zelensky se prête au jeu. Il dit : « Je crois qu’il a changé. Et qu’il a changé pour de vrai cette fois… ». Ce qui dit beaucoup de toutes les autres fois.

La décoration parisienne ne fut qu’une étape. Washington il y a quelques semaines, puis Londres, Paris en passant, et enfin Bruxelles, c’est-à-dire l’Union européenne, objet de toutes les convoitises. Le trajet dessine la géopolitique, telle que l’Est européen se la construit. L’Amérique d’abord, garante de la sécurité, et sans qui l’Ukraine serait déjà totalement envahie et réduite à l’état de province russe. Le Royaume-Uni, l’allié anglo-saxon indéfectible, la France, maîtresse infidèle, l’Europe, la famille par adoption.

Volodymyr Zelensky ose les voyages. Ils étaient rares, il les enchaîne. Le pull kaki témoigne qu’il est, encore et toujours, chef de guerre. On voudrait croire qu’il s’autorise ces escapades loin de son pays parce que la situation serait assurée sur le front. C’est tout le contraire. La demande insistante de nouvelles armes, de munitions, d’avions, trahit l’anxiété. L’armée ukrainienne fait face au flot des nouveaux engagés russes, envoyés par milliers à la mort, pour percer le front et espérer que quelques-uns passent, et trouvent la faille. Elle n’avance plus, elle pourrait donc reculer. L’armée russe a appris de sa cavalcade erratique. Elle s’est organisée. Elle reviendra.

On sent Zelensky fébrile, soucieux de raffermir les énergies des Européens, craignant de les voir à tout instant craquer. C’est qu’on entend de plus en plus souvent les « réalistes » souhaiter la fin du soutien, l’arrêt des combats, et le sacrifice de l’Ukraine. Comme autrefois, à Yalta, une bonne partie de l’Est de l’Europe fut abandonnée sous le joug de l’empire soviétique. Zelensky s’accroche au « pour de vrai ».

Mais la décoration, comme les applaudissements qui l’ont accompagné tout au long de son périple européen, ne sont rien au regard de l’essentiel : le combat qu’il conduit avec son peuple pour la liberté. Nous devrions, au fond, tout considérer à cette aune-là. Peser toutes les opinions sur les causes de la guerre, à la lumière de cet enjeu-là. Les Ukrainiens sont « collés à la liberté », pour reprendre l’expression de l’historien grec Hérodote. C’est d’abord pour l’indépendance de leur pays, et la survie de leur nation, qu’ils sont engagés dans cette épreuve. Une leçon pour l’Europe.

André Crettenand