Genève pour relever les défis du monde? — Genève Vision, un nouveau point de vue

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De leur côté, les diplomates, qui doivent résoudre les problèmes du monde, ne savent pas toujours sur quelles évolutions importantes ils doivent miser pour résoudre les défis de demain. À l’instar de l’intelligence artificielle (IA) et des nanosciences, les technologies n’ont jamais évolué aussi rapidement qu’aujourd’hui.

Forte de ce constat, la Suisse encourage une approche innovante pour s’attaquer aux défis du monde: elle soutient une nouvelle plateforme, l’Anticipateur de science et de diplomatie de Genève, qui tient son premier sommet du 7 au 9 octobre.

swissinfo.ch: Comment la science est-elle utilisée dans les négociations diplomatiques?

Alexandre Fasel: La diplomatie scientifique englobe des activités extrêmement variées. On peut distinguer trois aspects importants: la diplomatie pour la science, la science pour la diplomatie et la science dans la diplomatie.

La diplomatie au service de la science, c’est quand la diplomatie doit agir pour que la science puisse se faire, pour qu’une collaboration scientifique à l’international puisse se mettre en place. Un exemple est le Conseil européen pour la recherche nucléaire (CERN). Un gros travail diplomatique a été nécessaire pour rassembler des pays autour de cette idée, établir une convention, trouver un financement, etc.

Ensuite, il y a la science pour la diplomatie. Le Centre de recherche transnational de la Mer Rouge est un projet de recherche sur les coraux très particuliers de la mer Rouge, grâce auquel nous faisons de la diplomatie à travers de la science. Les dix États riverains de la mer Rouge, qui n’ont pas toujours des relations diplomatiques excellentes, trouvent un intérêt commun dans ce projet scientifique, qui crée les conditions pour que des pays qui normalement n’aiment pas coopérer travaillent ensemble et bâtissent une confiance mutuelle. Ceci permet par la suite de discuter d’autres questions d’ordre moins scientifique et plus diplomatique.

Enfin, la science dans la diplomatie, c’est quand la science devient un instrument à part entière de la diplomatie. Un bon exemple est le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). La mise en commun des connaissances scientifiques existantes sur le changement climatique permet d’offrir une vision basée sur des données et qui est donc acceptée par la communauté internationale. Cette vision est scientifiquement stable et solide, ce qui permet de définir l’objet de la discussion et les défis que la diplomatie doit affronter. Sans le GIEC, l’accord de Paris sur le climat n’aurait pas vu le jour.

La diplomatie suisse entend quant à elle aller au-delà de ces trois dimensions. Pour quelle raison?

Oui, nous voulons effectivement établir une quatrième catégorie, qu’on appelle la diplomatie scientifique anticipatoire. Les nanosciences, la biologie, les neurosciences, la technologie de l’information (TI) sont toutes des disciplines qui convergent et créent de nouveaux champs de découverte et une accélération du développement des technologies. L’augmentation humaine, l’éco-régénération, la décarbonisation, le quantique, l’intelligence artificielle avancée vont changer rapidement la face du monde et la vie des êtres humains. Nous devons comprendre ce qui nous arrive pour pouvoir le gérer avec une gouvernance mondiale adaptée.

Pourquoi est-ce si important pour la Suisse?

Parce qu’en tant qu’État hôte de la Genève internationale, nous avons une responsabilité accrue: nous sommes appelés à nous engager sans relâche pour que le système de gouvernance mondiale soit efficace, fort et solide. Ceci s’ajoute à notre poids scientifique: la Suisse, sous ce profil, est une grande nation, avec des moyens conséquents et des réseaux partout dans le monde qui nous permettent de contribuer à cet effort d’anticipation. C’est donc une double motivation qui nous pousse à investir dans la diplomatie scientifique. La fondation Anticipateur de science et de diplomatie de Genève (GESDA), voulue par le Conseil fédéral et les autorités genevoises, est une réalisation concrète majeure de cette politique.

Un des sujets les plus chauds de la diplomatie internationale est la pandémie de Covid-19. Comment la diplomatie scientifique est-elle utilisée pour résoudre ce défi? 

Dans le contexte de la pandémie, le vaccin est une victoire incroyable de la science! Personne ne pensait qu’il serait possible de développer des vaccins efficaces et sûrs à si brève échéance. La diplomatie scientifique a participé à ce succès, en facilitant la collaboration entre les chercheurs, les producteurs et les distributeurs.

En revanche, le programme Covax, l’instrument international qui doit permettre de mettre les vaccins à disposition du plus grand nombre, n’a pas encore porté les fruits qu’on espérait. Ceci met en évidence la difficulté qu’il y a à concrétiser les percées scientifiques et à les mettre à disposition des personnes qui en ont besoin.

La diplomatie peut-elle vraiment se baser sur des données scientifiques? 

C’est tout le débat autour de l’«evidence based policy», la politique fondée sur des preuves. La science et la solidité de la connaissance scientifique doivent être à la base du débat. Mais ensuite, il s’agit d’intégrer cette dimension-là dans les discussions diplomatiques entre les acteurs de la gouvernance mondiale.

Ces acteurs ont des intérêts nationaux, des positionnements géopolitiques et d’autres motivations qui conditionnent la conduite d’État. Il s’agit de de faire en sorte que les bases de leur conduite et de leurs décisions soient solidement ancrées pour rallier les différents acteurs autour d’un consensus.